« Nous devons toujours garder à l’esprit qu ’aucune femme n’opte pour
l’avortement avec joie et que l’interruption d’une grossesse ne sera jamais une partie de plaisir, un acte anodin. »
La chute de la dissertation d’Alizata KOUDA , après le récit
du calvaire enduré par ces jeunes femmes dresse bien la question.
Comme l’a si bien résumé Christine PEDOTTI « Soyons
sérieux, on n’est pas pour l’avortement, pas plus qu’on est pour la guerre.
Mais parfois, il faut faire la guerre. »
L’interruption de grossesse pratiquée clandestinement est une pratique à haut risque dont les plus anciennes d’entre nous ont bien connu par le
ouïe dire ou l’expérience les
effets.
En effet, le libre choix de la maternité par les méthodes
contraceptives et le droit à
l’avortement dans de bonnes conditions médicales est un acquis très récent,
Les françaises
le doivent aux luttes du
Mouvement français pour le planning familial, commencées dès 1960. Par un effet d’effacement de la mémoire collective, il nous
arrive d’oublier tout le chemin
parcouru par le législateur sous la pression de ce mouvement. Nous oublions aussi l’évolution des mentalités des familles.
Longtemps
considéré comme un crime et passible de prison en France, l’avortement se
faisait dans le déni des
familles. Pour les catholiques,
il était jusqu’à ce que Benoît XVI
en Août 2011 autorise officiellement
les prêtres à absoudre les femmes l’ayant subi, cause
d’excommunication ;
C’était la fosse aux serpents du déshonneur, de l’abandon, du lâchage, le noir de la
solitude morale.
Le texte
d’Alizata KOUDA, par sa délicatesse, son extrême humanité nous replonge
dans ces histoires de femmes
encore soumises à un ordre patriarcal sans tendresse ni concession pour la faiblesse amoureuse des femmes. Un ordre d’autant plus
rigoureux et inhumain qu’il cherche à
dédouaner de toute responsabilité
les partenaires avoués ou
clandestins.
« Mais un beau matin vous faites un test suite à un retard dans votre cycle menstruel,
quand vous voyez les deux traits roses, c’est toute une vie qui semble
s’effondrer devant vous. (…) Dans
un coin de votre chambre d’université vous gémissez seule sans une oreille pour
vous écouter. Finalement vous vous
souvenez qu’au détour d’une conversation, une amie avait parlé d’un monsieur
qui faisait des miracles moyennant une somme de vingt cinq mille francs
CFA. »
La jeune femme va chez le faiseur de miracle, « sans
réelle préparation mentale, en pensant qu’en cinq minutes ce sera fini. »
Et c’est le moment le plus tendu du récit.
« …il vous
dit de vous allonger sur la natte. Vous êtes comme dans un rêve. Vous en êtes
vite tirée par la douleur vive qui traversera vos entrailles. Muni de deux
rayons métalliques pour vélos, aiguisés, le faiseur de miracles vous transperce
le col de l’utérus pour l’ouvrir, tout en vous intimant l’ordre de na pas crier
sous peine d’être renvoyée d’ou venez. Vous vous mordez la main jusqu’au sang
pour étrangler ce cris qui ne cesse de monter. Il continue de piquer
inlassablement. Votre calvaire semblera durer une éternité durant laquelle
votre vie défile : Ma vie… Vous maudissez vos parents, votre petit ami et
surtout vous-même… »
Enfin quand le faiseur de miracles dit,
« lève-toi, c’est fini
« vous ne sentez plus vos jambes. Il vous faudra quelques minutes pour
retrouver votre motricité. Il vous remet un gros morceau de coton pour retenir
le sang et vous laisse partir sans aucun antibiotique ni ordonnance…»
Comment ne pas voir émerger bien vivantes de nos mémoires ces « Faiseuses
d’anges » qui travaillaient en dehors de tout respect d’hygiène et
l’hôpital où les jeunes femmes
sorties de leurs mains
échouaient pour être
« curetées »
quelques fois avec mépris et violence.
La narratrice
s’en tire, mais elle ne veut pas nous laisser sur ce « happy
end ».
Une amie qui lui est si chère doit se marier dans les deux
mois quand elle découvre qu’elle est enceinte de
son futur mari qui voulant un
« mariage religieux en bonne et due forme » refuse cette grossesse.
Elle, ne veut
pas déshonorer sa famille : « Sa mère bien aimée mourrait de chagrin
si elle venait à l’apprendre. » Les amies alertées la dissuadent d’avorter. « Mais
quand une femme décide vraiment d’avorter rien ni personne ne peut l’en
dissuader ».
Elle le fait dans un petit village. « Durant des jours
elle l’a caché à tous. Souffrant seule et buvant des décoctions censées
éviter l’hémorragie et les infections. Quand elle s’est décidée à aller à
l’hôpital, elle a reçu une leçon
de morale en lieu et place de soins avant de se faire injurier et traiter de
criminelle » Elle n’était pas
dans les priorités.
Conduite dans une clinique privée, « en quelques heures
elle est passée de vie à trépas »
(…) « Lorsque la famille apprit la cause de son décès,
j’ai pris - écrit elle – toute la mesure de l’égoïsme, de l’hypocrisie et de la
cruauté humaine. Son fiancé a feint de ne pas savoir qu’elle était enceinte et
demandait pourquoi elle en est arrivée là. »
(…) « Son père fut celui qui m’a la plus choquée, le
regard vide mais déterminé, il jurait que le corps de cette fille impie ne
franchirait pas le seuil de sa concession . Cette fille en qui il avait placé
ses espoirs l’avait déshonoré. Cette fille mécréante avait osé penser à ôter une vie. La vie humaine, œuvre
de Dieu, cette vie sacrée parmi les choses les plus sacrées.
Un seule envie me taraudait l’esprit : étouffer ses paroles
sans humanité indigne d’un père. Comment osait-il parler du caractère sacré de
la vie, lui qui est un fervent militant de la peine de mort ? Lui qui
s’extasie lorsqu’un voleur est battu à mort par une foule ou qui contribue à sa
mise à mort ? Une vie n’équivalait-elle pas à une autre ? Et la vie
de sa fille ? N’était-elle pas sacrée ? « .
Par la suite Alizata apprit qu’elle fut enterrée le
lendemain de son décès dans la discrétion la plus totale. « Cette honte
devait rester en famille et servir de leçon à ses autres filles. Il les
renierait si elles avaient le malheur de tomber enceinte avant le mariage.
Jamais il ne leur pardonnerait ce sacrilège même dans la mort ».
Les familles, l'honneur du clan se situent dans les entrailles de la fille. Là est le coeur du sujet.
Une femme doit procréer , mais dans les limites de la loi du clan. Faire un enfant n'est plus un choix, une jubilation, un partage, c'est le lot d'une bonne ouvrière encadrée, c'est le lot d'une bonne "reproductrice. Le Père est le gardien du troupeau. Qui déroge est condamné.
Sommes nous encore si loin de ces condamnations familiales ?
Les familles, l'honneur du clan se situent dans les entrailles de la fille. Là est le coeur du sujet.
Une femme doit procréer , mais dans les limites de la loi du clan. Faire un enfant n'est plus un choix, une jubilation, un partage, c'est le lot d'une bonne ouvrière encadrée, c'est le lot d'une bonne "reproductrice. Le Père est le gardien du troupeau. Qui déroge est condamné.
Sommes nous encore si loin de ces condamnations familiales ?
Ce texte douloureux d’Alizata KOUDA a été récompensé par le 1er
prix de la dissertation,
organisé par la Fédération Internationale pour la Planification
Familiale ( IPPF) du Burkina Fasso
à l’occasion de la célébration de ses
60 ans.
Alizata jette un regard critique, et humain, elle interpelle et nous remet en mémoire nos propres parcours.
Le droit à l’avortement, un sujet tabou ?
Jacqueline LACH-ANDREAE sur le texte magnifique Alizata , cliquer sur le lien ci-dessous.
RépondreSupprimerTABOU ?
Comme l’a si bien résumé Christine PEDOTTI « Soyons sérieux, on n’est pas pour l’avortement, pas plus qu’on est pour la guerre. Mais parfois, il faut faire la guerre ».
Par un récit douloureux récompensé par le 1er Prix de dissertation organisé par la Fédération Internationale pour la Planification familiale à l’occasion de la célébration de ses 60 ans, Alizata KOUDA du Burkina Faso invite le lecteur à dépasser le débat du droit à la vie et du droit à disposer de son corps pour entrer en empathie avec la souffrance des femmes acculées à l’avortement.
Il n’est pas, pour Alizata question de juger mais de montrer la violence d’une société patriarcale africaine qui refuse de voir la nécessité de mettre en place des services post avortement adéquats où on soigne et conseille, sans juger, sans moraliser ni dénoncer.
Le texte d’Alizata KOUDA, par son extrême humanité nous plonge dans ces drames de femmes encore soumises à un ordre patriarcal sans tendresse ni concession pour leur détresse. Un ordre d’autant plus rigoureux et inhumain qu’il cherche à dédouaner les partenaires avoués ou clandestins.
(...)
« Tous ensemble, accuse-t-elle, NOUS l’avons tuée. En définitive, il ne s’agit ni de combattre, ni encourager, ni banaliser l’avortement, mais juste assumer notre devoir collectif d’éducation, d’information, de sensibilisation, d’offre de service de santé pour éviter les grossesses non désirées. Et lorsque malheureusement on a échoué dans notre mission, il faut qu’on se mette humblement en question. Ainsi on évitera de porter des jugements et tout simplement avec humanité, on accompagnera la femme. »
Comme un électrochoc, ces interrogations réactivent la mémoire.
Le libre choix de la maternité par les méthodes contraceptives et le droit à l’avortement sont en France un acquis récent.
Il nous arrive, dans nos jugements de trop souvent oublier la situation des femmes avant la dépénalisation de l’avortement et l’évolution des mentalités des familles.
Placées aujourd’hui entre éthique et miséricorde que privilégions nous ?
Jacqueline