Il est d'une femme, je ne l'ai pas choisi pour cette raison mais pour sa grande humanité..
Ce n'est pas un hasard, les femmes ont une plus grande facilité à sortir du dogmatisme pour se pencher sur les plaies des hommes de notre temps.
Urgences
du temps présent
Une Église
bienveillante envers toute l'humanité
Cette attention
bienveillante aux efforts humains, accomplis dans la diversité des cheminements
individuels, n'appelle pas seulement les autorités mais tout l'ensemble des baptisés :
à l'intérieur même des communautés, quitter les replis identitaires permettra
d'ouvrir à une pleine communion fraternelle (comme cela se pratique déjà en des
lieux de pauvreté comme les hôpitaux psychiatriques et les
prisons) ; communion signifiée par le partage du Pain entre
tous, justes et pécheurs, ou qui se croient tels, engagés ou hésitants,
convaincus ou travaillés par le doute, monde qui espère ou qui seulement
aspire... Car « Dieu a fait des chemins pour tous, écrivait la poétesse
Marie Noël, pour les âmes de haut vol... et pour les chères petites
âmes ».
Rien de tel que le
récit de « la multiplication des pains » (Mc 6,34-44) pour illustrer
cette pratique de l'accueil envers tous. Ici, l''affluence pour écouter la
parole de Jésus est considérable. « De toutes les villes on accourut
là-bas à pied... » Pourquoi sont-ils si nombreux à faire la
route ? Quelle parole libératrice les soulève, qu'ils n'entendaient pas au
Temple ou à la synagogue ?
Peut-être étaient-ils tenus à l'écart, trop différents des
bien-portants, des gens « normaux » (fidèles aux normes), et se
sentent-ils maintenant accueillis tels qu'ils sont, avec leurs fardeaux, leurs
douleurs, et leur soif non étanchée. Les deux interventions de Jésus pointent
en ce sens.
La première
montre une attention et une compassion sans bornes :
« Il vit une foule nombreuse et il en eut
pitié, parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger, et il se
mit à les enseigner. »
La
deuxième développe le partage des provisions sans exclusive : avec cinq
pains et deux poissons, il nourrit la foule au point que « Tous mangèrent et furent
rassasiés » (6,42).
L'épisode,
rapporté dans les quatre évangiles, met en évidence ce qui nourrit l'esprit
humain : un enseignement qui parle au coeur et un partage communautaire
sans jugement préalable sur les comportements : sans doute, dans cette
foule, y a-t-il des personnes aux
actions honnêtes, et d'autres aux actions peu recommandables. « Cet
homme-là mange avec les prostituées et avec les pécheurs », sera-t-il
reproché ailleurs à Jésus. Oui, cet homme-là, habité par l'Esprit divin
qui souffle où il veut et parle en toutes langues, honore la pluralité
des attentes humaines.
Un réveil
audacieux de l'ensemble des baptisés
La deuxième urgence découle de la
première, mais aussi de la situation générale de l'Église aujourd'hui,
notamment en Europe. Si le peuple chrétien, en « tous ses états », se
sent accueilli dans toutes ses pauvretés, dans ses attentes et dans son
espérance, même si celle-ci demeure floue, s'il revient dès lors pas à pas vers
cette Eglise à tous ouverte, des laïcs pourront prendre en charge les
communautés nouvellement créées. Une urgence, qui pourrait relever de leur
responsabilité, serait de maintenir ouverts les nombreux lieux de culte
désertés, dans les banlieues et les provinces. Des rencontres se tiendraient là
régulièrement : groupes de réflexion, de paroles et de prière si possible
oecuméniques, partages festifs, célébrations en absence de prêtres, et, pour
des laïcs formés à cette tâche : accompagnement de personnes en difficulté. Les
« correspondants » de ces églises locales, élus pour une certaine
durée, pourraient être appelés diacres ou diaconesses.
En ce
domaine du diaconat, qui reprendrait tout son sens de service rendu dans la
communauté, il serait de la plus élémentaire justice de reconnaître aux femmes
engagées leurs divers charismes ; et d'attribuer, aux responsables de ces
lieux communautaires notamment, le titre de diaconesse ou de diacre
femme. « En ces
jour-là, rappelait l'apôtre
Pierre citant le prophète Joël, je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors vos fils et
vos filles prophétiseront, sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai
de mon Esprit... » (Ac 2,17-18, citant Joël 3,1-5).
Une
parole d'Église rendue légitime en matière d'éthique
Une troisième urgence
aujourd'hui, axée sur l'écoute des problèmes du monde les plus aigus, concerne
ce qui a trait à l'éthique, à l'évolution des moeurs et des pratiques, et plus
généralement aux mouvements de la société.
Il paraît
indispensable en ces domaines, pour faire entendre au monde sécularisé la
parole d'une Église vivante, plurielle et bienveillante, d' insister sur deux
démarches :
-
Introduire dans l'Eglise la parité homme-femme dans toutes les réflexions et
propositions.
- Faire en sorte que puissent s'exprimer
et se faire entendre, au même titre que d'autres « experts », les
hommes ou femmes laïcs touchés de près dans leur existence par les questions de
société et de moeurs : ayant traversé l'expérience d'une situation
humaine difficile, pourvues d'une connaissance intime des épreuves familiales,
et témoignant d'une ouverture de coeur et d'esprit suffisantes pour les aborder
dans le respect de toutes les trajectoires humaines, avec la miséricorde du
Christ.
Ainsi l'Eglise du
Christ, de celui que nous reconnaissons comme le Verbe incarné, restera ce lieu
désiré dès l'origine comme révélateur, d'une part, de la pleine humanité de
Dieu, d'autre part, de l'appel lancé vers tout être humain à devenir enfant
de Dieu.
Monique Durand Wood,
Monique
Durand Wood, est formatrice, théologienne, ancien aumônier de Centre Hospitalier Spécialisé, membre
du comité de rédaction de la revue Souffles, organe de l'association
« Traverses » (anciennement « Chrétiens en Santé
Mentale »), auteur de l'ouvrage : Ajouter foi à la folie,
petite théologie pratique de la maladie mentale en pastorale hospitalière, Cerf (2009, réimprimé en 2011),
Lire
aussi : « Le délire religieux : un défi pour la pastorale ou
un éclairage pour la foi ? », La
Vie Spirituelle, juillet 2010. Animatrice de sessions de méditation
biblique à la Maison de Tobie, fondée par Frère Benoît Billot,