dimanche 19 mars 2017

Chevaux de feu, chevaux de glace


Au fil des jours.....

En rangeant mes livres, un  ouvrage d'Alain Peyrefitte tombe . Je le ramasse. Il n'est pas jeune 1981, excusez du peu. Je m'en souviens à peine, ma bibliothèque-amie de toujours  est comme sa propriétaire,  pas jeune non plus...
Naseaux dilatés,  on sent l'effort impuissant à se libérer, un énorme troupeau de chevaux est pris dans les glaces.....au loin un incendie fait rage,.
Telle est l'illustration hallucinante  d'un récit que vous avez peut-être croisé ou rencontré au détour du Kaputt de Malaparte.
C'est une image qui hante, mais pas autant que l'histoire par elle-même.


"A l'entrée du terrible hiver de 1942, par un froid de loup, des soldats finlandais, dans l'isthme de Carélie, mirent le feu à la forêt de Raikkola, où s'était concentrée l'artillerie soviétique - hommes, bêtes et canons.
Réveillés en sursaut, entourés de clameurs, pris de panique, un millier de chevaux, derrière leurs chefs de file, coururent se jeter dans le lac Ladoga pour échapper à la fournaise. Ils essayèrent de nager vers l'autre rive, la tête tendue hors de l'eau, farouchement cabrés, grelottant de froid et de peur. Soudain, avec le bruit sec d"une vitre qu'on brise, l'eau qui les protégeait gela, les saisit, les emprisonna.

A l'aube, à travers la forêt calcinée, les Finlandais découvrirent, émergeant d'une plaque d'albâtre qui s'étendait à perte de vue, des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Le givre les avait recouvertes d'un manteau de blanc bleuté. Dans les yeux dilatés, la terreur brillait encore comme une flamme.
Tout le long de l'hiver, elle demeurèrent ainsi, "ces têtes mortes à la crinières glaciale, dures comme du bois, les lèvres contractées par un hennissement désespéré".
la voie de l'épée " les chevaux du lac Ladoga". crédit Google images.


Cette vision digne de Jérôme Bosch, chacun peut, comme à tout tableau, lui donner une signification personnelle. Pour Malaparte, ces chevaux sont le symbole de la vieille Europe chrétienne et paysanne-désemparée et suicidaire.
Peut-être verrez vous en eux le symbole d'un mal plus permanent, qui guette tout homme et toute société : le saut d'une excès dans un autre, le manichéisme, le renversement dialectique, le vertige du tout ou rien, du blanc et du noir.

Ces chevaux qui, par crainte du mur de flammes, s'enferment à jamais dans un mur de glace, ils auraient pu, entre l'enfer du brasier ou l'enfer de la banquise, se frayer une troisième voie, s'élancer à la file le long de la rive, en galopant sur la grève là où l'incendie ne menaçait pas, en trempant les sabots dans le lac si les flammes s'avançaient. Ils auraient évité à la fois d'être brûlés vifs et d'être pétrifiés. Mais le réflexe d'un être apeuré ou fougueux, surtout en groupe, le pousse à bondir d'un extrême à l'autre.
C'est en voulant se soustraire à la mort par le feu que les chevaux russes ont trouvé la mort par le gel."(A.Peyrefitte - les chevaux du lac Ladoga)


"Le feu ou la glace : nous dit Peyrefitte, comme nous aimons, nous autres Français, ce jeu dangereux ! Comme nous aimons aller aux extrêmes et, devant un obstacle ou sur un coup de tête, prendre la direction exactement opposée à celle qui nous suivions !
Rien de plus difficile pour nous que de trouver une issue raisonnable entre d'inacceptables dangers ; une solution qui compose des tendances contraires, et à laquelle puissent se rallier deux blocs antagonistes."

Peyrefitte avait fait de cette histoire son introduction à un essai sur la justice en France. Dans cette période pré-électorale, j'y ai aussitôt vu une métaphore de ce qui pourrait arriver si les français se laissaient, dans un mouvement de colère ou de désespoir, à voter pour les extrêmes.

Nous avons encore quelques semaines pour choisir notre champion, quelques toutes petites semaines.
Que les images de ces animaux affolés emprisonnés à jamais dans les glaces servent de métaphore à l'appel à la  vigilance .
Toutes les solutions et propositions  ne sont pas d'égale pertinence.N'oublions jamais qu'il y a dans les extrêmes une radicalité qui engage à très long terme et beaucoup plus que nous ne pouvons l'imaginer.
Il y a des allers qui semblent sans retour...
Comme sur chaque produit  fort pouvant conduire à l'addiction, nous devrions sur les idées populistes annoncer "peut nuire à la santé". A la santé de chacun, du Bien Commun , de la Nation et l'Europe toute entière.

On ne fuit pas l'incendie en sautant dans le lac.
"A première vue , un millier de chevaux brûlants qui se précipitent dans un lac sur le point de geler devraient réchauffer l'eau, donc retarder le moment où  elle se changera en glace. 
La thermodynamique enseigne qu'une eau très pure, comme celle des lacs glaciaires, ne gèle pas à 0°C : elle se maintient à l'état liquide jusqu'à dix ou vingt degrés au-dessous de zéro. Mais l'immersion soudaine des corps étrangers déclenche la cristallisation de l'ensemble. 
L'équilibre thermique bascule en quelques secondes.  De proche en proche, toutes les molécules d'eau se transforment en cristaux de glace. "
Ce sont les chevaux eux-mêmes qui provoquèrent le gel du lac....

Cet équilibre précaire d'une eau en surfusion n'évoque-t-elle pas la fragilité de notre société qu'un mouvement de masse , une décision inconsidérée, une panique, une grosse colère peuvent pour longtemps "geler" dans une situation mortifère ?

Avant de sauter le pas, faisons un brin de conduite sur les rives de la raison placées entre feu et eau  et si la colère est trop forte, rafraichissons nos sabots de révolte dans les eaux de la modération.








crédit "Google images".

Notes : Les Chevaux du lac Ladoga - la justice entre feu et glace- Alain Peyrefitte de l'Académie française - édité en 1981 par Librairie Plon ISBN 2-259-00782-1

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