samedi 16 mars 2013

LA PASSION DES FEMMES


 

Ils se saisirent donc de Jésus. ( Jean 19, 17)

Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du crâne qu’en hébreu on nomme Golgotha.

C’est là qu’ils le crucifièrent ainsi que deux autres, un de chaque côté et au milieu, Jésus.

Après un procès où tout était déjà décidé à l’avance et  malgré les réserves de Pilate, du représentant du pouvoir, Jésus le Nazaréen   est condamné à mort pour blasphème par les chefs religieux : «  Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir parce qu’il s’est fait Fils de Dieu ».

Il s’est dit Fils de Dieu – Blasphème !

 La passion de Jésus le nazaréen n’est pas qu’un moment de l’Histoire.  Il est là, parmi nous ployant sous le poids de la croix. Il est là dans toute souffrance.  Il est là, aussi,  dans la violence perpétrée en toute impunité sur les femmes à qui on dénie d’être ce que le Christ  dit qu’elles sont : « les filles de Dieu, ses bien-aimées ».
Je vous propose, aujourd'hui,    une nouvelle lecture de la
« Passion » celle des  femmes du Nord du Congo au Kivu,  violées depuis plus de 15 ans.  

  • ·         le témoignage de Christine ISOPET de Toulouse .

  
« Juillet 2012, je me suis rendue à Bukavu, en RDC sur l'invitation du père Bernard Ugeux, à l'initiative d'un groupe de réflexion et de propositions chrétiennes à propos des violences dans les conflits armés, en particulier à propos des violences sexuelles faites aux femmes.

« Que dire, comment trouver les mots, quels mots pour dire ce que j'ai vécu, ce qui m'habite et qui reste si profondément inscrit en moi, tellement vivant ». (…)
Je ne sais pas ce que vous attendez que je vous dise dans ce témoignage (…) je ne vous raconterais pas dans le détail ce que j'ai entendu, les violences dont sont victimes ces femmes, ces enfants.
Je ne vous les rapporterai pas tant cela dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, ça dépasse notre entendement, cette violence est extrême.
Je peux vous parler d'actes odieux, insensés, d'actes de barbarie, de viols, de mutilations sexuelles, de traumatismes profonds... sans que cela puisse pour autant vous permettre de savoir ce qui se passe vraiment...

Vous raconter ces actes honteux et indignes me semblerait relever d'une certaine impudeur, ignominie ou indécence, tout à la fois. C'est de l'ordre de l'indicible.

(…)
Nous sortions alors de l’hôpital Panzi à Bukavu, où nous venions de rencontrer le docteur Denis Mukwege avec son équipe, puis du centre psychiatrique Sosame, du centre d'écoute des femmes Olame. Ce que je venais d'entendre dépassait tout. L'horreur à son comble.
Je suis sortie de là comme hébétée, vidée, assommée. Sur le trajet du retour, aucun mot n'est sorti de ma bouche ; il n'y avait plus de mot.
Ce que je vivais alors je ne saurais le dire exactement : c'était au-delà de la sensibilité, de l'affectivité, c'était d'un autre ordre. Ça devait toucher des zones très profondes en moi. Il y avait de l'effroi, de la colère, du désarroi, un sentiment d'impuissance, de profonde incompréhension devant quelque chose qui ne paraissait pas possible, qui ne devrait pas être possible, quelque chose d'inimaginable... et qui pourtant existe. Je vivais une souffrance, et puis une profonde tristesse, un profond chagrin, de la compassion... je ne sais pas, tout cela à la fois sans doute.
Alors je vous partage simplement, pauvrement, ce que j'ai vécu sur le trajet de retour de ces visites et que je formulais alors ainsi : « Ce que j'ai entendu, je ne sais pas ce que ça fait en moi, je ne sais pas « où ça tombe en moi », mais c'est « énorme ». Des larmes coulent, mais dire « je pleure » ne serait pas exact, « ça pleure en moi »est plus juste. Ces larmes, je ne sais pas vraiment de quoi elles sont faites ».  (…).  Ça continue de pleurer en moi.
Il y a en moi des récits terribles, des regards vides, tristes, des visages ravagés, marqués, des silences lourds.
Il y a aussi des questions, les leurs comme : où est Dieu dans tout ça ? Pourquoi n'est-il pas là ? Pourquoi le monde ne nous vient il pas en aide ?
Et les miennes : comment l'homme peut-il poser de tels actes ? Comment est-ce possible ? Et... Qu'est-ce que je fais moi là où je suis ? Et toutes ces questions sur le sens ...

Mais il y a plus que cela en moi.

Ces visages de bonté, ces regards emplis de respect, de bienveillance, de douceur, de compassion, ceux là mêmes qui sont aussi par moments ravagés de douleur, de questions, d'incompréhension, de colère, et d'une extrême fatigue.
Ces hommes et ces femmes, médecins, soignants, écoutants, psychologues, traumatisés par ce qu'ils voient, entendent; épuisés, mais qui inlassablement continuent de se pencher sur ces femmes, ces enfants, ces hommes et sans faiblir prodiguent leurs soins, posent un geste, un regard, offrent une écoute, osent un mot.

Que d'amour, de bonté, de temps donné sans compter, sauveurs d'humanité en l'homme là où parfois on pourrait désespérer et penser qu'elle a déserté.

J'ai entendu leur fatigue, leur cri,, « trop c'est trop, ça fait déjà trop longtemps que ça dure ! Il faut que ça s'arrête !». Sortir de cet enfer...
Quel dur combat pour la vie, et quelles victoires ! Au fil des jours, au quotidien, depuis 16 longues années... c'est bien cela qui les fait courageusement tenir dans cet enfer : la vie qui reprend ses droits, toutes ces victoires sur la violence et sur la mort.


. Vous ouvrir mon cœur et partager ces mots avec vous sont un moyen déjà, si petit soit-il, de leur rendre témoignage, d'être avec eux, de poursuivre mon engagement et de vous inviter à vous engager aussi.
Ils comptent sur nous, il appartient à chacun de ne pas tourner la page, de ne pas détourner le regard, mais de rester présents de cœur avec eux, de faire reculer toute forme de violence, de prendre soin, de la vie, d'être des humains.

Christine ISOPET – Germes d’Espérance »










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