Je suis peut-être enfoui au sein des
montagnes
solitaire comme une veine de
métal pur ;
je suis perdu dans un abîme
illimité,
dans une nuit profonde et sans
horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se
fait pierre.
Je ne sais pas encore souffrir
comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur
;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle
me soit pesante, qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri.
Rainer Maria Rilke
La caméra s’arrête sur le souffle qui expire, d’un
vivant je n’ai plus dans les bras
que l’ombre d’un amour.
Cruel retour sur image d’une
longue agonie que la mémoire
célèbre en une étrange liturgie du retour.
22 ans, 22 ans que nous portons le vide de nos absences réciproques,
comme on enfante « un abime
illimité »
La vie m’a façonnée à sa façon, tantôt nerveusement,
tantôt tendrement, aujourd'hui ma
solitude est devenue une île.
Oh, ce ne fut pas si facile mais le ressac a bien travaillé. Lentement ma côte a été grignotée en une
presqu’île solidement rattachée au
monde.
J’ai longtemps vécu à la lumière de toutes nos amitiés. Elles clignotaient joyeuses, fidèles balises de vie dans
la nuit. Je me nourris de leur pain, et me réjouis de leur vin.
Mais vague après vague, un jour l’île s’est
détachée.
Comme cela s’est fait ? Qui peut le dire, moi,
je ne sais.
Peut-être un couchant plus rouge que d’habitude m’a-t-il fait remarquer les flots de sang coupés
d’or qui m’enserraient.
Nulle angoisse, nulle perte.
Le continent, au loin découpe la ligne de ses
falaises. Je les connais bien, je les ai habitées.
Je ne les renie pas, mais mon regard désormais se tourne sur mes terres intérieures.
Au
fil des années, au centre de l’île
une graine apportée par le vent a
donné un chêne puis un pin qui me disent le vent de Sa parole.
Du roseau brisé de notre vie naquit ainsi un bosquet où croît la bruyère. Il
m’arrive par moment en d’étranges songes de t’y croiser avec tous nos chiens et
ce chat noir aux yeux d’or, tendre compagnon
de solitude et de misère.
Regarde les ! Ils accostent, paniers bien remplis. Ils sont joyeux ! Eh ! On ne laisse pas seule la vieille mère. Nos enfants sont si solides
que je m’en sens encore plus fragile.
Et pourtant
je connais bien les
angoisses et les fardeaux de cet
âge de fer et de bronze. C’est l’âge du courage, des épaules qu'on relève sous les coups du sort, du rire sonore pour conjurer la peur.
Rejetons prometteurs d’une alliance brisée qui refuse de mourir, notre trésor commun , nos petits enfants. Chaque
année les voit se fortifier et grandir : c’est en eux
que s’écrit désormais notre histoire.
22 ans,
je sens le vent du soir qui
vient…Bientôt la nuit. Pourtant je n'ai pas peur , je ne suis jamais seule dans ma solitude,
Il est là tout près de moi. Il me
réchauffe quand il fait trop froid, Il plante des rosiers et
m'enseigne comment ne pas avoir peur des épines. Je Lui parle de toi et dans cette conversation c’est le monde
entier que je lis dans Ses yeux.
Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur ;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante, qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en Lui dans un cri.
22 ans, te souviens tu du grand soleil d’antan. De
nos élans. De nos rêves. De notre force qu’on croyait « éternelle » ?
Ce soir,
Je suis peut-être enfoui (e) au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur ;
je suis perdu(e) dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.
Mais demain, n'aie pas peur pour moi, le soleil se lèvera sur mon île.
Car c'est ainsi que vivent les Hommes.
le 11 Mars 2016
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