jeudi 10 mars 2016

Anniversaire de plomb.....



Je suis  peut-être enfoui au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur ;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.

Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur ;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante, qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
   et que je me perde en toi dans un cri.
Rainer Maria Rilke


 Demain, s’ouvre à nouveau  la fenêtre sur le temps.  
La caméra s’arrête sur le souffle qui expire, d’un vivant je n’ai plus dans les bras  que l’ombre d’un amour.
Cruel retour sur  image  d’une longue agonie que  la mémoire célèbre  en une   étrange liturgie du retour.

22 ans,  22 ans que nous portons le vide de nos absences réciproques, comme on enfante « un abime illimité »


La vie m’a façonnée à sa façon, tantôt nerveusement, tantôt tendrement,  aujourd'hui  ma solitude est devenue une île.

Oh, ce ne fut pas si facile mais  le ressac a bien travaillé.  Lentement ma côte a été grignotée en une presqu’île solidement  rattachée au monde.
J’ai longtemps vécu à  la lumière de toutes nos  amitiés. Elles clignotaient joyeuses, fidèles balises de vie dans la nuit. Je me nourris de leur pain, et me réjouis de leur vin.  
Mais vague après vague, un jour l’île s’est détachée.
Comme cela s’est fait ? Qui peut le dire, moi, je ne sais.
Peut-être un couchant  plus rouge que d’habitude m’a-t-il fait remarquer   les flots de sang coupés d’or   qui m’enserraient.  

Nulle angoisse, nulle perte.

Le continent, au loin découpe la ligne de ses falaises. Je les connais bien, je les ai habitées.
Je ne les renie pas, mais mon regard désormais  se tourne sur mes terres intérieures.

 Au fil des années, au centre  de l’île  une graine apportée par le vent a donné un chêne puis un pin qui me disent le  vent  de Sa parole. Du roseau brisé de notre vie naquit ainsi un bosquet où croît la bruyère. Il m’arrive par moment en d’étranges songes de t’y croiser avec tous nos chiens et ce chat noir  aux yeux d’or, tendre compagnon de solitude et de  misère.

Regarde les !  Ils accostent, paniers bien  remplis. Ils sont joyeux ! Eh ! On ne laisse pas seule la vieille mère. Nos enfants sont si solides que  je m’en sens encore plus   fragile.
Et pourtant  je connais bien  les angoisses et les fardeaux  de cet âge de fer et de bronze. C’est l’âge du courage, des épaules qu'on relève sous les coups du sort, du rire sonore  pour conjurer la peur.

Rejetons prometteurs d’une alliance  brisée  qui refuse de mourir, notre trésor commun ,  nos petits enfants. Chaque année les voit se fortifier et grandir : c’est en eux que s’écrit désormais notre histoire.

22 ans,  je sens le vent  du soir qui vient…Bientôt la nuit. Pourtant je n'ai pas peur ,  je ne suis jamais seule dans ma solitude, 
Il est là tout près de moi.  Il me réchauffe quand il fait trop froid, Il plante  des rosiers  et m'enseigne  comment  ne pas avoir peur des épines. Je Lui parle de toi et dans  cette conversation c’est le monde entier que je lis dans  Ses yeux. 

Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur ;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante, qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
   et que je me perde en Lui  dans un cri.

22 ans, te souviens tu du grand soleil d’antan. De nos élans. De nos rêves. De notre force qu’on croyait  « éternelle » ?  

Ce soir,  

Je suis  peut-être enfoui (e) au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur ;
je suis perdu(e) dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.


Mais demain, n'aie pas peur pour moi, le soleil se lèvera sur mon île. 
Car c'est ainsi que vivent les Hommes. 


le 11 Mars 2016





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