Un bel article très argumenté . Il est d'une médiéviste..... à méditer.
Filles et garçons à l’autel
Véronique Beaulande : 06 juin 2015
Article paru sur le site du
Parmi les arguments utilisés pour justifier l’exclusion des filles du service de l’autel, qui tous, je l’avoue, me semblent abscons, il en est un qui m’a toujours fait penser au Moyen Âge (ceci dit sans aucun mépris pour le Moyen Âge, même si moi qui le fréquente beaucoup, vous me voyez bien aise de ne pas y vivre) :
Il paraîtrait que laisser des filles servir à l’autel aux côtés des garçons, à l’âge de l’adolescence, risquerait de troubler ces derniers. Si, si. Les hormones, que voulez-vous, et la nature masculine. (Vous ne l’avez jamais lu ou entendu ?
voyez ici : HYPERLINK "http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?f=86&t=10962&start=45"http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?f=86&t=10962&start=45 )
Loin de moi l’idée de nier que l’adolescence est une période parfois délicate pour ces jeunes, notamment en termes de pulsions sexuelles. De là à faire des adolescentes une image du péché pour les adolescents, ou à tout le moins la cause de maladresses inévitables, je trouve qu’on pousse le bouchon un peu loin. Et surtout, même en admettant que, pourquoi écarter les adolescentes et non les adolescents manifestement jugés incapables de se maîtriser ?
Quel rapport avec le Moyen Âge, me direz-vous ? Philippe de Novare, un noble italien qui vécut au XIIIe siècle, écrivait ceci : « Aux femmes, on ne doit pas apprendre à lire ni écrire, sauf si elles doivent devenir nonnes, car par la lecture et l’écriture de femme, il est advenu maintes mauvaises choses. Certains oseront leur donner ou leur envoyer des lettres ou les faire jeter devant elles, qui contiendront des folies ou des requêtes, en chanson, en rimes, ou en contes, qu’ils n’oseraient demander ou dire de vive voix, s’il n’y avait un message à envoyer. Et même n’eût-elle nul désir de mal faire, le diable est si subtil et si habile à faire pécher, qu’il la mettrait bien vite en situation de lire les lettres et d’y répondre. Quelle que soit la réponse, faible ou forte, en vue de l’anéantissement de l’ennemi ou pour signifier la faiblesse de la nature de la femme, des lettres plus louanges que d’autres finiront par mettre à mal la femme. »
Passons sur « la faiblesse de la nature de la femme » – pensée « moyenâgeuse » s’il en est –, voulez-vous. Vous trouvez peut-être que ce texte use d’arguments inverses de celui que j’évoquais à propos des filles écartées du service de l’autel : pour Philippe de Novare, les garçons incitent les filles à pécher, les garçons troublent les filles, non l’inverse. Certes. Mais la logique est exactement la même : il ne vient absolument pas à notre nobliau du XIIIe siècle l’idée saugrenue de déconseiller l’apprentissage de la lecture et de l’écriture aux garçons. L’important est que les filles ne puissent pas lire, pas que les garçons ne puissent pas leur écrire des sottises. La logique de ceux qui écartent les filles du service de l’autel est la même : il ne leur vient pas à l’idée d’en écarter les garçons. Priver les filles d’un apprentissage, chez Philippe de Novare ; priver les filles d’une forme du service divin, chez certains de nos contemporains ; pour préserver le droit des garçons à bénéficier de cet apprentissage et à faire ce service (je déteste utiliser la notion de « droit » pour évoquer un service liturgique ; mais à partir du moment où il y a bien mise à l’écart d’un des deux sexes pour que l’autre sexe puisse « être tranquille » dans ce même service, je ne vois pas comment envisager le sujet autrement).
J’invite d’ailleurs les messieurs à se révolter aussi contre l’image que ces historiettes véhiculent de leur genre : séducteurs ou trop facilement séduits, dans les deux cas incapables d’être éduqués à se bien comporter avec la gente féminine ! Là encore, passons ? Non, retour au Moyen Âge :
Pour Philippe de Novare, « l’on ne doit apprendre aux femmes durant leur enfance aucun métier pour comprendre pas plus que pour penser ». Ceci me fait penser, pour le coup, à un autre argument pour écarter les filles de l’autel : les garçons, honteux de faire un service que les filles font, ne souhaiteraient plus être enfants de chœur de peur de devoir cohabiter à l’autel avec ces êtres tellement inférieures à eux (ou au moins tellement différentes qu’on n’ose les approcher ; c’est un « truc de filles ») – et il faudrait les comprendre, tellement c’est « naturel » (oui, on sait, c’est erroné ; mais cette erreur est toute naturelle « à leur âge » et il ne faut pas traumatiser ces jeunes gens ; voyez le site déjà cité, et là, la question-réponse B5 HYPERLINK "http://radix.ecclesiae.pagesperso-orange.fr/inf.questions.cadre.html"http://radix.ecclesiae.pagesperso-orange.fr/inf.questions.cadre.html).
Allons, même Philippe de Novare pensait qu’aux garçons, on pouvait bien apprendre un métier « pour comprendre et pour penser » : au lieu d’écarter les filles, qui, notons-le, supportent très bien de servir à l’autel auprès d’un homme et de garçons en robe, éduquons ces derniers (les garçons ; voire parfois l’homme en robe…) à l’égalité des genres. Et renvoyons Philippe de Novare à ses chères études et à ses idées… médiévales.
Véronique Beaulande, docteur en histoire du Moyen Âge
PS : Le Moyen Âge n’a jamais été univoque : ne croyez pas que tous les médiévaux partageaient l’opinion de Philippe de Novare ! On en reparlera sans doute.
Pour moi la question est : " comment lutter efficacement contre la violence de l a tentation de mettre la main sur l'autre en l'excluant de sa sphère privilégiée. Ici, pour les garçons, de l'autel - du sacré . Cette question se pose dans"tous les domaines , puisque certains appellent à revenir aux écoles séparées pour filles et garçons au motif que les garçons sont désavantagés par les troubles de leur adolescence ( hormones ) par rapport aux filles plus à l'aise dans le système scolaire. Il ne faut pas se voiler la face. On commence par l'éviction de l'autel, puis lentement on ira de régression en régression pour cantonner les femmes dans le domaine du privé : les 3 K Kirche, Küche und Kinder . l'Eglise, la cuisine et les enfants.....Tout cela n'est pas si loin de nous dans le temps..... notre vigilence doit être ABSOLUE. Ce qui créé plus particulièrement mon trouble? je ne suis pas sûre que ces questions de discipline purement religieuse ne tiennent pas d'une évolution possible dans la société.
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