Dans un recoin de mémoire, jamais trahi
ni rongé par le temps, se trouve le souvenir d'une merveilleuse ballade dans
les Pyrénées.
Le chemin de bergers monte à travers la
forêt, l'ombre protège de la brûlure du soleil de fin Août, les parfums de sous bois stimulent l'effort.
Soudain on débouche sur un plat inondé de lumière,
quelques vaches paisibles que distrait notre arrivée.
On monte encore et encore, la fatigue se fait
sentir, quand se découpant dans l'immensité d'un bleu azur si transparent
que le pinceau renonce à le "brosser", la crête...!!!!
A la « queue-leu-leu » le groupe
l'emprunte.
L'appréhension m'étreint...Et si j'allais faire un
faux pas... Si je tombais dans un des vides qui bordent l'étroit passage ?
Au sud, la pente est plus douce, mais que de pierres traîtres et faciles à
ébouler !
Au nord c'est abrupt, solide, sans
concession.
Une main amie m'a rassurée.
Franchie, la crête s'inscrira désormais dans un de
ces moments de libération des frontières imaginaires de mon éducation marquée au fer rouge par un patriarcat aimant certes mais bien rigoriste. J'avais alors 19 ans, la
décennie soixante faisait ses premiers pas, encore bien empêtrée dans l'après-guerre mais déjà marquée du désir de secouer le schmilblick.
Il ne lui faudra que huit années pour exploser...
Parmi les plus dérangeantes situations que puisse
connaître aujourd'hui une "femme catholique", devenir
objet de contradiction est bien la plus inconfortable. Il vaut mieux être fille perdue, s'adonner à luxure que de demander le sacrement de l'ordination pour les femmes.
Personne ne s'y reconnaît, ni certaines femmes, ni le Magistère.
Placée à la croisée de plusieurs tensions, notre malheureuse se
révèle grimper malgré elle sur le chemin de crêtes de demandes jugées auto-proclamées et irrecevables par le Magistère. Auto-proclamées - Fichtre !
C'est une crête bien étroite, mais tellement
fascinante par tout ce qu'elle révèle de "renouveau et de promesses de liberté".
Une crête d'envol dans le grand vent de l'Esprit !
Désormais, les regards ne rencontrent plus
d'obstacles, les Ecritures balisent et dévoilent le chemin de la dignité retrouvée et
seule la Tradition élève un dérisoire panneau "Propriété Privée - Interdit à toute personne étrangère au service". Les certitudes granitiques, les
interdits au sacrement roulent sous les pas, le bruit de leur chute fait écho.
On attend une main amie, et il y en a.
Combien de siècles a-t-il fallu à cette femme pour
monter la côte qui mène à la crête ?
Combien de siècles pour sortir de la servitude,
puis de la tutelle d'un père, d'un mari, pour enfin accéder à cette
requête ?
Combien de siècles de pouvoir patriarcal qui
ont rompu les os, fait ployer le genoux, courber l'échine ?
Combien de siècles de silence sous le voile ?
L’étape est proche. Je le sens, je le crois. Le temps s’accélère.
Illusion ? Fantasmagorie ?
Le grand bouleversement arrive, faire confiance et
surtout ne pas avoir peur.
Les précipices ne sont rien que la ligne de pente des fondations respectables et
respectées sur lesquelles repose le chemin de l’Eglise de Jésus Christ. Ils ne
sont pas signe de chute, mais bien au contraire d’élévation.
Ils sont ascension vers plus de dignité.
Ils sont souvenirs d’étapes et non mur de discrimination.
En fait ils ne sont rien qu’album de photos souvenirs de la longue vie de
l’Institution avec ses ombres et ses lumières. Seule la peur de l'indignité imprimée au fer rouge par les
Patriarcats freine le désir d’emprunter le chemin de crêtes , il suffit d'une main amie pour passer .
photo de B.Vaillant " Chaîne des Pyrénées vue du pic du Midi" |
Jacqueline Lach-Andreae