- Réforme du collège : un regard européen, et un peu d’esprit pratique, en défense des classes bi-langues et des sections européennes
Le débat autour
de la réforme du collège fait rage mais il
reste très centré sur l’hexagone, ses représentations de l’école
républicaine, ses querelles partisanes.
Les réflexions
ci-après s’efforcent d’introduire deux dimensions :
1° une mise en perspective européenne et
internationale, en exploitant des rapports de l’OCDE et de la Commission
européenne ainsi que le dernier rapport pertinent de l’Inspection Générale
de l’Education nationale qui montre bien le danger que la réforme ferait courir
à l’enseignement de l’allemand.
2° une approche pratique, celle des
parents, dont plusieurs interrogations légitimes sont laissées sans réponse.
*1. Le gouvernement a-t-il raison de considérer
que le système éducatif français est inégalitaire
D’après la
dernière étude PISA de l’OCDE, en 2012, l’Education nationale peine à réduire
les inégalités sociales. Pire, elles se sont creusées ces dernières années,
quel que soit le gouvernement au pouvoir.
« Le système d’éducation français est plus
inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités
sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre
55 en 2006 et 57 points en 2012). En France, lorsque l’on appartient à un
milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir
qu’en 2003. »
- Toutefois,
l’étude PISA 2012 se concentre essentiellement sur les mathématiques. Il
n’est donc pas forcément pertinent d’en tirer des conséquences sur
l’organisation de l’enseignement des langues.
- Cette
grave carence devrait susciter une prise de conscience non partisane.
2. Faut-il prioritairement réformer le
collège ?
Une autre étude
de l’OCDE Regards sur l’Education 2014
montre que la France a un problème particulier avec son école primaire.
« Les dépenses par élève du secondaire sont 20 %
plus élevées en France que la moyenne de l’OCDE (11 109 USD, contre 9 280 USD
en moyenne), tandis que celles par élève du primaire sont inférieures de 20 % à
la moyenne de l’OCDE (6 917 USD, contre 8 296 USD en moyenne) ».
- A lire
l’OCDE, le plus urgent serait de réformer le primaire afin de combler les
lacunes dans les apprentissages fondamentaux.
3. L’enseignement des langues est-il un facteur
particulier d’inégalité ?
Le rapport 2014-083
du 1 er août 2014, Classes bi-langues
et sections européennes ou de langues orientales en
collèges (SELO) de
l’Inspection Générale de l’Education Nationale – http://www.education.gouv.fr/pid267/les-rapports-igen.html
précise bien que les dispositifs bi-langues et les sections européennes, ne
sont pas destinés à tous les élèves mais « aux élèves motivés ».
En 2013, 16%
des élèves étaient scolarisés dans des classes bi-langues (qui existent depuis
la rentrée scolaire 2002) et 10, 6% dans les sections européennes (qui
démarrent essentiellement en classe de 4ème).
Le rapport relève expressément
« une surreprésentatoin des
catégories sociales favorisées dans les deux dispositifs (…) ; le phénomène est cependant « nettement
plus marqué pour les sections européennes anglais que pour les autres. »
Il relève aussi que « dans les
collèges d’éducation prioritaire, la section européenne accueille moins de
boursiers issus de catégories sociales défavorisées que le reste de
l’établissement ». Toutefois, les inspecteurs généraux notent
aussi : « le développement
continu de ces deux dispositifs, encouragé régulièrement par l’institution,
montre qu’ils ont su répondre à une
réelle attente ». Ils « préservent une forme de (…) mixité sociale
dans les établissements les moins favorisés. »
Et aussi que « la
présence d’un dispositif linguistique comme le parcours bi-langues ou la SELO
participe indéniablement à une meilleure attractivité du collège, facteur de
mixité sociale pour les établissements classés en zone d’éducation
prioritaire».
Le rapport y revient à plusieurs reprises.
- Le
caractère élitiste de l’allemand n’est pas démontré ; il est même contesté
par les inspecteurs généraux. De nombreux témoignages de professeurs de
collèges de zones défavorisées sont disponibles sur Internet ; par
exemple http://www.lepoint.fr/societe/classes-europeennes-qu-on-arrete-de-dire-que-ce-sont-des-classes-de-privilegies-18-05-2015-1929164_23.php
- La
suppression des classes bi-langues et des sections européennes réduirait
la mixité sociale dans certains collèges dont elles sont un facteur
d’attractivité. Rappelons que ce sont les chefs d’établissement qui
composent les groupes d’élèves placés dans ces cursus. Au lieu de supprimer
ces classes et sections, on pourrait leur demander de mieux assurer la
diversité sociale des élèves.
- Le
ministère de l’Education Nationale semble sous-estimer le risque de voir
des enfants favorisés quitter purement et simplement l’école publique.
4. La France peut-elle se permettre un
nivellement par le bas en langues ?
Une étude de la
Commission européenne de 2012, SurveyLang,
sur les compétences acquises, dans deux langues, à la fin du secondaire
(lecture, compréhension, expression orale et écrite) montre que la France est très mal classée dans les
comparaisons intra-européennes.
Ces filières,
par les compétences linguistiques et l’entraînement au travail multiculturel
qu’elles impliquent, sont un atout pour
le pays. Le rapport précité de l’Inspection générale fait apparaître de
bien meilleurs résultats, en langues et dans les autres disciplines, dans les
cursus bi-langues (évaluation de l’Académie d’Aix-Marseille). Naturellement, le
rapport nuance cette constatation par le fait que ces classes réunissent
souvent de bons éléments mais on peut s’interroger sur ce qui, à l’avenir,
stimulerait les bons élèves qui en bénéficient aujourd’hui.
- Pour le
rayonnement de la France et la force de son économie, il est crucial de
former un nombre suffisant de jeunes maîtrisant bien les langues
étrangères, ouverts aux autres cultures.
- Le
recul de la langue française, chez nos partenaires, est d’ores et déjà une
réalité, d’après le rapport de la Commission. Si un pays devait faire un
effort exceptionnel, budgétaire et stratégique, pour l’apprentissage de deux
langues étrangères (anglais + une autre langue), c’est bien la France. La
réforme envoie exactement le signal inverse.
6. La suppression des classes bi-langues
aboutirait-elle à la mort de l’allemand ?
Si la réforme
était mise en œuvre telle quelle, le choix de l’allemand en langue 1 dans le
primaire reporterait automatiquement l’apprentissage de l’anglais cinq ans plus tard, en 6ème,
dans le cadre d’une LV2 un peu spéciale !
Le choix a beau rester théoriquement ouvert, quels
parents priveront leurs jeunes enfants d’anglais quand leurs petits camarades
s’y mettent immédiatement ?
D’autre part le
risque de voir s’assécher lentement mais sûrement le vivier de germanistes est
très grand, puisque près de 90% des élèves étudiant l’allemand au collège le
font aujourd’hui dans le cadre de sections bi-langues. A compter de la rentrée
2016, l’allemand se retrouvera essentiellement dans l’espace étroit de la LV2 –
avec moins de 3 h par semaine ; rappelons que la langue espagnole est aujourd’hui
choisie dans plus de 70% des cas ; on ne voit pas comment la proportion
d’élèves apprenant l’allemand en LV2 augmenterait à moyen et à long terme.
- Même si
telle n’est pas l’intention de la réforme, l’asphyxie progressive de
l’allemand est très vraisemblable.
7. L’enseignement de l’allemand LV 1 dès le CP
est-il réalisable en pratique ?
A supposer même
que des parents fassent le choix hardi de l’allemand en LV1 au CP, on peut
raisonnablement supposer qu’ils ne seront pas nombreux.
Admettons une
école primaire comptant 3 classes de CP de 25 enfants chacune, dont 8
choisiraient l’allemand (soit une proportion de plus de 10 %). Plusieurs
questions pratiques se poseraient :
-
un enseignement d’allemand serait-il assuré pour 8 enfants sur 75 ? Ne
viendrait-on pas dire rapidement que ce choix est « élitiste »
(ou trop coûteux) ?
-
Peut-on vraiment organiser un enseignement régulier et pérenne sur l’ensemble
du cursus de l’enseignement primaire, pour un tout petit groupe d’élèves?
Notamment pour développer l’allemand, le ministère prévoit de piloter l’offre
de langues en proposant uniquement l’allemand dans des secteurs précis. Mais
peut-on imposer l’apprentissage d’une langue aux parents ? Et que se
passerait-il si la famille déménageait en cours de scolarité ?
-
Question subsidiaire : une fois ces enfants arrivés en 6ème, ouvrirait-on
une classe d’anglais pour eux seuls, ce qui est pourtant nécessaire car ils ne
peuvent pas débuter cet apprentissage avec des camarades ayant déjà 5 années
d’anglais derrière eux ?
A toutes ces
questions, la ministre de l’Education n’apporte pas de réponse, ce qui génère
forcément incompréhensions et inquiétudes. Ce n’est pas la désignation d’un
délégué ministériel qui va rassurer les parents troublés.
8. Le calendrier est-il crédible ?
La réforme est
censée entrer en vigueur dès la rentrée 2016. Cela signifie que les classes
bi-langues disparaissent aussitôt en 6ème pour être remplacées par
un apprentissage précoce au CP.
Là encore, des
questions légitimes se posent :
-
Comment serait-il généralisé immédiatement à tout le territoire quand
l’allemand en primaire est extrêmement concentré en Alsace et dans le
département de la Moselle?
-
Comment, si l’allemand est très minoritaire, assurer l’égalité entre les
différentes régions de France ? La République est une. Et son école
s’honore à offrir aux enfants une ouverture intellectuelle qui ne soit pas
conditionnée par la région d’origine.
-
Comment recruter des enseignants ou former les enseignants du primaire ?
Sans faire de procès d’intention à l’Education nationale, il est notoire qu’il
existe un décalage entre le nombre de postes ouverts au concours (mis en avant
par le ministère) et le nombre de postes finalement pourvus. Dans un contexte
d’incertitude sur l’avenir de l’allemand, il est peu probable que la motivation
des candidats augmente.
- Au
total, le calendrier est peu crédible : d’un côté une suppression
immédiate d’un dispositif qui a fait ses preuves, de l‘autre des promesses
vagues ; une simple erreur de mise en route, conjuguée à une demande plus
forte pour l’anglais, aboutirait très vite à « installer »
l’anglais « only » dans l’immense majorité des écoles primaires,
à l’exception peut-être des régions frontalières.
9. Existe-t-il d’autres options ?
Le rapport
précité de l’Inspection générale en proposait plusieurs qui ont évidemment un
coût, pour les plus ambitieuses d’entre elles et présente, en tout cas, des
inconvénients et des avantages différents.
Les inspecteurs citent une étude
antérieure qui « pencha davantage en faveur d’une généralisation des
sixièmes bilangues qui mettrait fin à une situation hétéroclite et peu égalitaire.
Les engagements internationaux de la France et le besoin stratégique d’élever le niveau en langues semblent devoir l’emporter sur des arguments administratifs de type « ce ne serait pas dans la logique du nouveau cycle. »
- En définitive, une solution pourrait être de conserver le principe de l’enseignement bi-langues en le faisant démarrer au CM1 (début de cycle) pour tous. Les années de CP et cours élémentaires ne seraient qu’une initiation.
- Une autre piste pourrait consister à solliciter une initiative de la Commission européenne sur l’augmentation des échanges d’enseignants afin d’encourager l’apprentissage généralisé de deux langues. Nous l’avons suggéré sur Figarovox le 6 mai dernier (http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/05/06/31002-20150506ARTFIG00256-classes-bilangues-pourquoi-il-faut-connaitre-l-histoire-et-la-mentalite-de-nos-partenaires.php).
- Ce serait à la fois un pas vers une citoyenneté européenne plus active et un encouragement à la mobilité, notamment à l’intérieur de la zone euro. Des retombées positives pourraient en outre être attendues pour l’enseignement du français chez nos partenaires.
Sylvie GOULARD Eurodéputée MoDem.